Est-on infidèle par nature?

https://louiemedia.com/la-maladie-damour

À 28 ans, Noémie se marie avec son premier amour Gabriel en grande pompe et en blanc, les paroles d’une chanson d’Aznavour brodées sur sa robe. Elle débute alors une carrière d’avocate dans un cabinet où elle rencontre Marc, son collègue. Tout les oppose, mais de textos en restaus, ils deviennent de plus en plus complices, jusqu’au baiser. Le courage, c’est de quitter sa famille ou de rester ?

Intervenante : Pour analyser cette histoire et décrypter notre rapport à l’extraconjugalité, nous avons interrogé la sociologue Marie-Carmen Garcia, autrice de deux livres sur le sujet : « Amours clandestines. Sociologie de l’extraconjugalité durable  » (éd. Presses universitaires de Lyon, 2016) et “Amours clandestines : nouvelle enquête. L’extraconjugalité durable à l’épreuve du genre” (éd. Presses universitaires de Lyon, 2021)

Noémie Sylberg a écrit le livre Vivre après Marc, Éditions Hermann, 2023.

La Maladie d’amour est un podcast inédit d’histoires vraies autour de l’amour, analysées par des scientifiques, pour éclairer nos sentiments. Il est co-produit par Louie Media et Jour Premier et adapté de la série Irrésistible, une comédie romantique en six épisodes disponible sur Disney + et présenté par Camélia Jordana. Cet épisode a été tourné et monté par Élodie Maillot. Jérôme Petit a fait la réalisation, Bénédicte Schmitt le mix. Chargée de production : Margaux Opinel.

Compte rendu de « Amours clandestines, nouvelle enquête »

Natacha Guay, « Marie-Carmen Garcia, Amours clandestines : nouvelle enquête. L’extraconjugalité durable à l’épreuve du genre », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 07 juillet 20

https://journals.openedition.org/lectures/50423

« Pourquoi sommes-nous plus intransigeant‧es envers l’infidélité que nos aîné‧es ? « 

Écrit par Yasmine Guénard-Monin | Le 29.04.2022 à 05h56 Modifié le 29.04.2022 à 17h56

MAGAZINE NÉON

Alors que le couple se défait peu à peu de la norme de l’exclusivité, tromper reste mal vu. L’infidélité serait même plus condamnée qu’auparavant. On vous explique.

“Les Français sont de plus en plus infidèles”, “Une Française sur trois a déjà été infidèle”, “L’infidélité à la Française se porte bien”… C’est presque devenu un marronnier dans la presse hexagonale que de s’enorgueillir avec une fierté chauvine des performances extra-conjugales des Français‧es, généralement à l’occasion de la parution d’un sondage Ifop commandé par un site de rencontres. On pourrait y voir le signe d’une plus grande acceptation sociale de l’infidélité, qui semble en hausse en France depuis les années 1970, en particulier chez les femmes. Pourtant, celle-ci a beau être pratiquée avec assiduité, elle serait plutôt moins bien tolérée qu’auparavant.

Charlotte Le Van, autrice d’une thèse de sociologie sur le sujet, observait déjà en 2011 une tendance battant en brèche les idées reçues. “L’infidélité est très mal perçue aujourd’hui. Les Français sont même plus intransigeants face à l’infidélité que dans les années 80. Alors qu’il y a une tendance croissante à tolérer l’homosexualité, la prostitution ou encore l’euthanasie, l’infidélité est la seule notion qui est décriée et condamnée encore plus violemment qu’il y a quelques années”, constatait-elle dans Elle. Marie-Carmen Garcia, sociologue également et autrice d’Amours clandestines : nouvelle enquête (2021), va dans le même sens : “La valeur fidélité augmente en Europe de l’Ouest. Les jeunes générations sont très attachées à la fidélité conjugale.”

À lire aussi Infidélité : femmes et hommes sont-ils égaux dans l’adultère ?

Et nous qui nous croyions plus libres que nos ancêtres, à présent que nous avons des capotes à volonté, le droit à l’avortement (merci Simone) et des médias comme NEON qui encouragent une sexualité sans tabous ! De fait, nous connaissons en moyenne plus de partenaires sexuels au cours de notre vie que nos grands-parents. En 2006, année de la dernière grande enquête sociologique sur la sexualité des Français‧es, le nombre moyen de partenaires sexuels déclaré par les femmes était de 4,4, contre 1,8 en 1970. Quant aux hommes, ils déclaraient avoir eu en moyenne 11,6 partenaires en 2006, un chiffre stable.

Le règne de la transparence

Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, la valorisation de la fidélité n’est pas incompatible avec la libéralisation de la sexualité. En effet, l’infidélité aujourd’hui n’est pas tant définie par un écart à la norme d’exclusivité sexuelle et/ou affective au sein d’un couple que par le mensonge – ne dit-on pas “tromper” son conjoint ? “Aux yeux d’une grande partie de la population, le problème n’est pas tant d’avoir un autre partenaire que de le cacher”, résume Marie-Carmen Garcia.

Eléonore*, 24 ans, vivrait mal que son copain depuis trois ans ait une relation sexuelle ou sentimentale avec quelqu’un d’autre, “parce que ça trahirait la confiance mutuelle sur laquelle notre relation est fondée […] Mais ce ne serait pas le fait en soi d’avoir été intime avec quelqu’un d’autre qui me blesserait, parce qu’au fond chacun est libre de faire ce qu’il veut avec son corps”. Le pire ? Que son partenaire lui dissimule cet écart : “Déjà que la confiance est abîmée par l’infidélité, elle est définitivement rompue s’il ne dit rien. Ce serait très humiliant en plus de savoir que la troisième personne le sait aussi, mais pas moi.”

Marie-Carmen Garcia y voit le produit d’une évolution socio-historique du couple, qui s’est au cours du XXe siècle centré sur ce qu’elle nomme la valeur d’“authenticité”, une double fidélité à l’autre et à soi-même. “La notion d’amour dans le mariage apparaît en France au début du XXe siècle et fait son chemin jusqu’aux années 1970, où le mariage d’amour s’installe”, retrace-t-elle. Ce phénomène, ajouté à la progression parallèle de la norme d’égalité au sein du couple dans les classes moyennes et supérieures, fait que “le conjoint devient un alter ego à qui l’on dit tout, alors qu’auparavant on se confiait peu à lui”.

D’autres formes de fidélité

Le développement du polyamour et du couple ouvert s’inscrit paradoxalement dans cette logique, puisque ces formes d’union reposent sur un contrat de transparence entre les partenaires. La fidélité consiste alors à tout se dire, y compris que l’on va voir ailleurs – ou bien à être transparent sur le fait que l’on ne se dit pas tout, selon les termes du contrat. C’est ce qui explique qu’alors que le libertinage ou la non exclusivité sont de plus en plus acceptés dans la société, l’infidélité reste très mal vue.

Aurélie*, 42 ans, n’a pas supporté que son ex fréquente une autre femme dans son dos alors qu’ils étaient en couple libertin : “J’aurais pu accepter qu’il aille voir ailleurs, s’il me l’avait dit. Mais il l’a fait en douce. C’est ce mensonge qui m’a fait souffrir. Ensuite, ma confiance en moi s’est évaporée” (lire ici son témoignage complet). L’existence d’alternatives au couple exclusif classique pourrait même renforcer la condamnation sociale de l’infidélité et, comme dans le cas d’Aurélie, la peine que celle-ci peut causer. Après tout, pourrait-on se dire, à quoi bon cacher son envie d’avoir d’autres relations quand la mer compte chaque jour plus de poissons amateurs de nage libre ?

* À la demande des témoins, les prénoms ont été changés.

ARTICLE EN LIGNE :

https://www.neonmag.fr/pourquoi-sommes-nous-plus-intransigeantes-envers-linfidelite-que-nos-ainees-558581.html

« Infidélité : femmes et hommes sont-ils égaux dans l’adultère ? »

Écrit par Yasmine Guénard-Monin | Le 28.04.2022 à 03h11 Modifié le 28.04.2022 à 15h20

MAGAZINE NÉON

Les femmes ont de plus en plus de relations extraconjugales depuis cinquante ans, adoptant un comportement auparavant masculin. Mais femmes et hommes ne sont pas pour autant égaux dans l’infidélité.

Ce n’est pas un hasard si c’est la photo d’une femme, Eve tentée et tentatrice, qui se déploie sur la page d’accueil de Gleeden. Le site de rencontres extraconjugales joue sur l’idée que les femmes s’émanciperaient en trompant leur mari – et aguiche les hommes par la promesse qu’une myriade de ces femmes libérées et volages les attendent derrière leur écran. Mais qu’en est-il vraiment ? Assiste-t-on à un mouvement massif de libération des femmes hétérosexuelles, à mesure qu’elles passeraient du lit de leur conjoint à celui de leur amant ?

Difficile de quantifier ce qui est par principe caché. Rares sont les statisticiens qui pénètrent dans l’intimité des chambres d’hôtel et des garçonnières, et les seules estimations chiffrées récentes sur la sexualité clandestine des Français sont des sondages de l’Ifop, institut de sondages et d’études marketing. Déclaratifs, ceux-ci sont à prendre avec des pincettes (rien ne garantit que les participants n’enjolivent pas leur vie sexuelle). Et les questions n’étant pas posées exactement dans les mêmes termes d’une étude à l’autre, les comparer c’est un peu mélanger les choux et les carottes.

À lire aussi Couple : la satisfaction sexuelle favoriserait l’infidélité, selon une étude

Ils indiquent tout de même une tendance plausible : les femmes seraient de plus en plus infidèles à leur partenaire en France depuis les années 1970. 10 % en 1970, 37 % en 2019. C’est raccord avec la libéralisation de la sexualité féminine, liée notamment à l’accès à la contraception et à l’avortement. L’infidélité aurait connu une progression moins spectaculaire chez l’autre sexe, tentant 49 % des Français en 2016 contre 30 % en 1970. En 2012, la sociologue Charlotte Le Van observait plutôt une baisse de l’infidélité masculine. En tout cas, l’écart se resserre, il est même inférieur à l’écart salarial ! Faut-il y voir une bonne nouvelle pour l’égalité des genres, un “symbole de la conquête de l’indépendance sexuelle des femmes”, comme se réjouit l’Ifop dans son enquête de 2019 – commandée par Gleeden, qui a tout intérêt à promouvoir l’infidélité ? Pas si sûr.

L’infidélité masculine historiquement encouragée

“Ce n’est pas forcément une libération pour les femmes” : la sociologue Marie-Carmen Garcia est plus pessimiste. Pour son enquête Amours clandestines (Presses universitaires de Lyon, 2016 et 2021), elle a étudié les relations extraconjugales hétérosexuelles à travers les témoignages de dizaines d’infidèles. Et montré qu’il existe une asymétrie persistante entre hommes et femmes, au prix d’“une souffrance morale parfois abominable chez les femmes”.

Pour le comprendre, il faut remonter dans l’histoire. Les infidélités féminine et masculine sont depuis des siècles perçues différemment en France. Dans le Code pénal de 1810, une femme adultère encourait jusqu’à deux ans de prison (d’après un article abrogé en 1975). Mais un mari volage, seulement une amende, et encore s’il avait entretenu une concubine sous le toit familial ! L’infidélité masculine a longtemps été encouragée. “Dans la bourgeoisie, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les hommes prenaient officiellement maîtresse après que leur femme avait eu des enfants, car on considérait qu’une femme ne pouvait alors plus avoir beaucoup de relations sexuelles, du fait que la sexualité féminine était reliée à la maternité”, raconte Marie-Carmen Garcia. Même si le modèle du couple amoureux et exclusif s’est imposé par la suite, nous héritons ainsi de représentations qui font reposer la vie sentimentale et sexuelle de l’homme sur deux colonnes : son épouse (fidèle, bien sûr) et sa maîtresse (indigne d’une union légitime). La maman et la putain.

À lire aussi Comprendre le mythe de la vierge et de la putain avec l’histoire de Pénélope, la femme d’Ulysse

“Aujourd’hui encore, la norme de l’exclusivité reste plus forte pour les femmes que pour les hommes”, déplore Marie-Carmen Garcia. Les femmes sont éduquées à “être la femme d’un seul homme”, si possible le prince charmant. Cela s’en ressent sur leur conception de la fidélité : en 2007, la dernière grande enquête sociologique quantitative sur le sujet constatait que les femmes étaient moins nombreuses que les hommes à dissocier sexe et sentiments, et que la proportion de celles qui y arrivaient augmentait plus lentement. Ce qui traduirait “la pérennité de l’injonction sociale à une inscription de la sexualité [des femmes] dans la vie conjugale”, interprètent les auteurs de l’enquête. Cette valorisation de l’exclusivité sexuelle comme affective des femmes a pour corollaire que l’infidélité féminine est encore aujourd’hui moins bien vue que les écarts masculins. Le sondage Ifop pour Gleeden de 2019 va dans le même sens : 77 % des Françaises interrogées jugent que leur entourage est plus choqué en cas d’infidélité féminine que masculine, ce qui montre qu’elles ont “intériorisé la norme selon laquelle les femmes risquent toujours plus de stigmatisation sociale que les hommes lorsqu’elles ont des relations en dehors du cadre conjugal”, d’après François Kraus, directeur de l’étude.

Des visions de l’infidélité qui divergent

On pourrait croire que les femmes ayant malgré tout sauté le pas et trompé leur mari jouissent d’une liberté chèrement conquise, au mépris du regard social accusateur. Mais l’on ne se défait pas si facilement de représentations profondément enracinées dans l’histoire et la culture. Celles-ci engendrent “un abîme entre les attentes et les visions que femmes et hommes ont de leur amour clandestin”, selon Marie-Carmen Garcia. Dans le cas de liaisons durables (on ne parle pas ici de coups d’un soir), “les femmes veulent une relation officielle”, voyant dans leur relation extraconjugale un préalable à une mise en couple. Tandis que, pour les hommes, “un amour caché n’est rien d’autre qu’un amour caché”. Ils s’accommoderaient plutôt bien d’avoir une conjointe et une maîtresse ! Il est courant que la femme, si elle n’était pas célibataire au départ, quitte son conjoint pour son amant… et se morfonde parfois des années en espérant, en vain, que celui-ci quitte sa partenaire.Les cas où un homme célibataire attend que sa maîtresse mariée quitte son époux sont rarissimes.

Au sein du couple clandestin, femme et homme ne sont donc pas sur un pied d’égalité. “La relation extraconjugale déroge à la valeur d’égalité dans le couple moderne, qui domine depuis les années 1970 dans les classes moyennes et supérieures”, analyse Marie-Carmen Garcia.C’est souvent l’homme qui dicte les modalités et le rythme de la relation : “Il décide quand les amants se voient, à quelle heure ils peuvent s’envoyer des SMS… Certains interdisent même à leur maîtresse de parler d’amour”, constate la sociologue. “Cette maîtrise crée du désir chez les femmes. La domination masculine est érotisée”. Le couple infidèle apparaît ainsi comme un espace de reproduction de l’inégalité des genres. Bref, au XIXe comme au XXIe siècles, mieux vaut être le héros de Bel-Ami que Madame Bovary (spoiler pour celles et ceux qui n’auraient pas été attentifs en cours de français : l’un obtient un poste de choix et un beau mariage pour récompense de ses adultères, l’autre, endettée et déçue par ses amants, se suicide à l’arsenic).

ARTICLE EN LIGNE :

https://www.neonmag.fr/infidelite-femmes-et-hommes-sont-ils-egaux-face-a-ladultere-558560.html

Renforcer, convertir, transformer les corporéités genrées. L’incidence des socialisations secondaires

Dossier de la revue SociologieS coordonné par Marie-Carmen Garcia, Mélie Fraysse et Pierre Bataille

Depuis les années 1980, la sociologie a montré l’importance du corps dans la production et la reproduction des différences et de la hiérarchie entre les sexes . L’histoire du contrôle des sexes dans les grandes compétitions sportives ou les chirurgies de réassignation sexuée chez les nourrissons intersexes sont à ce sujet des exemples particulièrement probants du travail symbolique et matériel que nécessite, tant au niveau individuel que collectif, la catégorisation de sexe sur la base d’éléments anatomiques. Les corporéités sexuées « dynamisent tous les champs du social » (Kergoat, 2012, p. 100) dans la mesure où être identifié.e comme « homme » ou « femme » revient avant tout à présenter un corps avec les marqueurs physiques légitimes d’apparence d’une ou l’autre des catégories de sexe. Or, depuis les années 1990, la « nature différente » des sexes fait débat à l’intérieur de l’espace scientifique, comme dans d’autres espaces de la vie sociale. Ce dossier regroupe des articles sociologiques renouvelant la problématique de la sexuation des corps.

En accès libre :

https://journals.openedition.org/sociologies/18376